Séance du vendredi 7 décembre 1962
Déclaration devant l’Assemblée Nationale Constituante.

Le gage le plus sûre, le plus important pour l’édification solide de notre pays c’est l’élargissement de la base du pouvoir, car le pouvoir personnel ou oligarchique conduit à la paresse, au laisser-aller et à la passivité. Il nous est impossible, quelles que soient nos décisions, quels que soient les moyens mis à notre disposition: capitaux, assistance technique, culturelle d’édifier notre pays si l’enthousiasme populaire fait défaut, si le peuple ne participe pas à cette édification avec ferveur et si nous ne créons pas les conditions psychologiques d’un renouvellement d’auto-mobilisation.

Donc chers frères, chères sœurs, je souhaite que le bureau politique soit élargi le plus rapidement possible dans des proportions qui donneront satisfaction à l’ANP, aux ouvriers, aux étudiants et paysans. Il faut trouver des solutions qui soient de nature à faire renaître l’enthousiasme et à relever le moral du peuple. Car l’enthousiasme qui constitue notre capital, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre c’est l’enthousiasme des élites qui constituera la force du Parti.

Et un parti fort et organisé qui jouit de la confiance du peuple n’a nul besoin de dissoudre un autre parti comme le parti communiste algérien. Il me semble au contraire, qu’il serait bon que ce parti puisse se maintenir, car il jouerait un rôle de stimulant ainsi que d’autres organisations révolutionnaires. Je pense que la prééminence du parti FLN n’entraîne pas nécessairement l’unicité.

Ce qui me parait important, c’est que tous ceux qui ont milité‚ avec le peuple et participé‚ d’une façon conséquente à la lutte se rencontrent pour bâtir ensemble l’avenir en toute confiance et sans exclusivité.

La presse et le peuple pourraient alors librement s’exprimer. Les critiques venant aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur seraient permises et celles formulées au sein du parti lui-même seraient consolidées à tel point que les critiques émanant de l’extérieur ne lui porteraient nullement préjudice.

Il y a des urgences souveraines. Il faut assurer à nos fellahs, à nos ouvriers, à nos chômeurs le pain quotidien, le logement et l’habillement minimum. C’est un devoir impérieux de satisfaire ces besoins élémentaires face à une saison d’hiver qui s’annonce difficile. La Commission parlementaire mobiliserait l’opinion mondiale, non seulement pour subvenir à ces besoins, augmenter notre avoir en devises, et pour demander une assistance massive en équipement et en matériaux.

J’ai parlé du chaptel. C’est un fait que dans certaines régions, les fellahs ne peuvent tirer leurs subsistances que de l’élevage. La guerre a supprimé cette ressource. Comment la renouveler? Nous demandons à l’opinion publique mondiale de consentir elle-même des réparations non formelles. La reconstitution de notre chaptel aidera, par ailleurs, à réamorcer l’opération-labours, l’opération-reproduction.

Monsieur le Président, frères et sœurs ! J’estime de mon devoir est de soulever ici un problème du Parti.

Vous pourriez et c’est de votre droit le plus absolu de demander: pourquoi partisan de l’élargissement du buureau politique n’avez-vous pas accepté d’en faire partie ? Je suis prêt à m’expliquer à tout moment. Je voudrais que les dossiers des responsabilités de la crise soient ouverts.

C’est une question d’opportunité. A un certain échelon, ce n’est plus la morale de la conviction, du sentiment, d’émotion qui doit compter: c’est la morale de la responsabilité‚ et nous devons faire attention aux conséquences de nos actes.

(Applaudissements)

Hocine Ait-Ahmed