Hocine Aït Ahmed : « l’alternative démocratique est la seule voie de salut » – 23 Septembre 1985
En juin 1976 Boumdiène ordonna la rédaction par un comité de cinq membres, la discussion publique et l’adoption par la voie d’un référendum de la Charte Nationale.
Les Algériens et Algériennes jusque là exclus de la vie politique, furent conviés à un colossal psychodrame radiotélévisé dans le style totalitaire, cette mise en scène nous est toujours présentée comme un modèle de démocratie directe.
Les Algériennes et les algériens se sont vite rendus compte que le droit au micro qui leur fut octroyé l’espace d’une Kermesse nationale ne fut pas le signe d’une libéralisation politique, le début d’un changement démocratique. Pour le pouvoir en recherche de légitimité, la charte avait pour but d’abord de donner la façade de légitimer et ensuite de cloisonner le champ politique : « nous vous avons autorisé à parler, vous avez parlé, maintenant la récréation est terminée, vous allez vous taire et vous et vous avez donné le droit fondamental ainsi que les versets nécessaires pour vous faire taire ».
Les résultats d’une gestion sacralisée par ce bréviaire Coranisé et marxisé se lisent même dans les bilans officiels le « oui au rejet du népotisme, du favoritisme, de la corruption…de tout paternalisme…de tout autoritarisme » s’est traduit dans la réalité quotidienne par un oui au déferlement de tous ces fléaux avec leurs conséquences politiques, culturelles, économiques et sociales.
Les seuls moyens qui auraient permis au peuple Algérien d’échapper à cette dégradation, c’est la liberté d’information, de la presse, d’association, ce sont les libertés démocratiques sans lesquelles il n’y a pas de démocratie. Ayant été spolié de ces droits de l’homme, le peuple algérien a perdu son droit à l’auto-detérmination et à la souveraineté, à la faveur et sous la logique déconcertante des chartes, charte de Tripoli (1962) charte d’Alger (1964) et charte nationale.
Celles-ci n’ont pas empêché que dans la réalité les véritables choix sont exprimés, vécus et existé dans un cadre policier. Face au principe policier, il n’y a d’autre alternative que le principe démocratique. Une vie politique saine passe par dialogue permanent entre le pouvoir et l’opposition, le développement politique qui conditionne le développement tout court est conditionné par l’instauration du pluralisme politique et associatif.
Les Algériens et les Algériennes ont vraiment espéré que les successeurs de Boumediene engagent leur pays dans la voie démocratique. La soif d’expression et de participation est telle dans la société algérienne que le diagnostic étant rendu évident le remède le serait aussi.
Force est aujourd’hui de constater que les orientations autoritaires, l’emportent sur les velléités d’ouverture, les faits ont donné tort à ceux et à celles qui ont cru que les mesures de description et de détente prises par le nouveau régime étaient l’annonce d’une ère nouvelle. Les conservateurs du système, les partisans du parti unique c’est à dire du principe policier semblent l’avoir emporté, ils annoncent la couleur en remettant sur le tapis la Charte Nationale, le peuple algérien se voit offrir une autre récréation du micro pour enrichir l’ancien testament, un nouveau testament pour de nouveaux maîtres, la nouveauté portera surtout sur les options « économiques », et on parut être certain que même si les corrections seraient bonnes en théorie, en pratique elles sont détournées par les clans affairistes qui s’allient ou s’identifient aux clans de classe dirigeante.
Quant à ce qui n’est pas nouveau, au conservatisme fondé sur la force et la propagande, il continue à se traduire par le monopole de l’information de l’expression, et de l’association sur lequel les tenants du pouvoir ne veulent pas faire de concessions et par l’étouffement systématique des libertés démocratiques.
« Le code de la famille » est anti-démocratique et dans son contenu, par le traitement discriminatoire envers la femme, et dans les pratiques qui ont abouti à son adoption, les femmes étant privées du droit de libre association. Ce droit est aussi dénié aux hommes, les enfants de martyrs de la révolution comme le fils d’Amirouche sont arrêtés, détenus depuis juillet 1985, pour avoir voulu constituer une association de fils de martyrs à but non lucratif.
La seule réponse du régime à la naissance de la Ligue algérienne des droits de l’homme est la répression, la plupart de ses dirigeants dont Ali Yahia, les frères Ait-Larbi, le docteur Nait Djoudi sont sous les verrous. Le docteur Sadi, initiateur du Printemps Kabyle, est aussi emprisonné, le pouvoir s’attaque à un symbole comme s’il voulait provoquer la jeunesse algérienne qui revendique pour la langue berbère le droit de cité dans la cité berbère, cette épreuve de force est soulignée par l’arrestation de deux chanteurs Kabyles Ferhat et Ait-Menguellet.
Je tiens à m’associer à tous ceux et toutes celles qui dénoncent la répression et demandent la libération de tous les détenus. Les violations des droits de l’homme constituent des actes d’appauvrissement de l’Algérie qui suffisent à disqualifier l’enrichissement de la charte voir la charte elle-même.
Que vaut un statut octroyé sous la menace d’emprisonnement « on ne peut mentir à tout le monde et tout le temps », la tutelle n’est pas digne du peuple algérien. Ses idéaux révolutionnaires ont été longtemps portés par ces mots d’ordre « contre tout statut », la parole au peuple, élection d’une assemblée constituante souveraine, l’alternative démocratique est la seule voie de salut, les promesses de l’histoire doivent être tenues pour décoloniser l’état, il faut instaurer les libertés démocratiques et préparer des élections libres pour une vraie Assemblée Constituante Souveraine.
Le 23 septembre 1985
Hocine Ait Ahmed